Evénement : L’ « Emma » de Jane Austen fête ses 200 ans

Emma JA

 

Elle compte parmi les écrivains préférés des Booknautes. Et c’est en décembre 1815 qu’était publié pour la première fois Emma, l’un des romans qui a fait la renommée de Jane Austen. Rangé dans la catégorie des romans d’apprentissage, Emma est considéré par de nombreux spécialistes comme l’oeuvre la plus aboutie de l’auteure, mais aussi comme un ouvrage à part dans le monde des lettres. Derrière un style que l’on qualifierait aujourd’hui de classique et de soigné, revenons sur un livre qui a changé la face de la littérature.

 

Emma portrait de jane austen
Portrait de Jane Austen, romancière anglaise (1775-1817)

Pour comprendre le choc qu’a suscité Emma au moment de sa publication, il faut se replacer dans le contexte de sa sortie. Premier fait saillant : il est encore rare pour une femme, au début du XIXè siècle, de s’imposer comme écrivain, la fonction, ou tout du moins la reconnaissance qui en découle, étant principalement réservées aux hommes. Deuxièmement, le réalisme n’est devenu un genre majeur que plus tard, vers la moitié du XIXè siècle. Même si quelques auteurs anglais ont déjà jeté les bases de ce nouveau mouvement dès le XVIIIè siècle, comme Henry Fielding ou Tobias Smollett, ce sont des auteurs plus tardifs, comme Thomas Hardy, D.H. Lawrence, ou encore George Eliot, qui contribueront à l’expansion du réalisme en Grande-Bretagne. Il n’est donc pas encore très commun, en 1815, de lire des descriptions longues et particulièrement minutieuses, comme celles auxquelles Jane Austen s’attelle dans Emma, lorsqu’elle dépeint la petite ville de province où prend vie l’intrigue. Et l’effet dans le milieu littéraire anglo-saxon ne se fait pas attendre. Les contemporains de l’auteure pressentent déjà le rôle majeur que va occuper le roman : Sir Walter Scott, poète et écrivain de l’époque, salue Jane Austen pour un roman qu’il considère comme précurseur d’un nouveau genre plus réaliste.

 

Evidemment, la psychologie des personnages, et en particulier celle de la figure centrale, Emma, participent de cette révolution. La peinture approfondie, minutieuse et juste que celle-ci fait de ses sentiments et de ceux des autres, associée à un décor qui privilégie la vie quotidienne dans ce qu’elle a de plus ordinaire, marquent un changement radical par rapport aux codes de l’époque, encore emprunts de l’idéal romantique.

Comme tout roman innovant, Emma suscite donc d’emblée des avis très divergents parmi la critique. La longueur du texte ainsi que ses nombreuses descriptions éveillent alors autant d’ennui que d’admiration. Jane Austen disait elle-même de son personnage qu’au-delà d’elle, personne ne l’aimerait vraiment. Pourtant, si certains de ses pairs ont assumé avoir coupé court à la lecture trop longue d’Emma, d’autres, comme Sir Walter Scott, saluent la verve de l’écrivain :

C’est l’art de copier la nature telle qu’on la rencontre dans des circonstances ordinaires de la vie, et présentant au lecteur, au lieu des scènes splendides d’un monde imaginaire, une représentation juste et frappante de ce qui se passe chaque jour autour de lui.

 

Emma couv
Publié en 1815, Emma est le dernier roman de Jane Austen, considéré aussi comme le plus abouti.

Après l’âge d’or du romantisme, qui privilégie l’expression de sentiments exaltés et préfère le cœur à la raison, en explorant des thématiques très idéalisées comme l’évasion, le rêve, le sublime ou encore le passé, l’esquisse de la banalité du monde réel a de quoi déconcerter. Et pourtant, c’est bien la dimension très descriptive d’Emma, le souci de dépeindre une société particulièrement hiérarchisée, les éléments d’intrigue qui le rapprochent bien avant l’heure du registre policier, qui constitueront certains des grands ressorts du roman réaliste à partir de la moitié du XIXè siècle.

 

Enfin, on ne peut pas parler d’Emma sans souligner le caractère engagé qui point de l’oeuvre, notamment parce que Jane Austen y évoque des thématiques comme l’esclavage, et le mariage, sous un angle féministe encore inconcevable pour un XIXè conservateur. Un livre qui casse les codes, et qui continue d’inspirer : on ne compte pas moins de dix adaptations et réinterprétations cinématographiques du roman, ainsi que de nombreuses réécritures et essais.  200 ans, le bel âge ? En tout cas, Emma n’a pas pris une ride.

 

 

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A propos de Cecilia Sanchez 290 Articles
Chargée de communication et rédactrice chez Booknode

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