Rentrée littéraire d’hiver : La fraîcheur éclatante des « vies multiples de Jeremiah Reynolds »

 

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C’est un roman aussi discret que son auteur qui paraît le 6 janvier aux éditions Stock. Court, le dernier ouvrage de Christian Garcin ne prend pas beaucoup de place dans la bibliothèque, mais il pourrait bien vous émouvoir autant qu’il nous a touchés. Il faut dire que l’écrivain s’applique à employer un langage dynamique, fluide et poétique pour raconter, comme le titre du roman l’indique, Les vies multiples de Jeremiah Reynolds.

 

 

Au fil des pages se dessine alors la vie incroyable de celui qui au XIXè siècle a très probablement été le premier homme à poser le pied en Antarctique, avant d’occuper d’autres fonctions aussi nombreuses que variées : colonel lors de la guerre civile chilienne, chef militaire parmi les mapuches, explorateur, ou encore avocat à New York. Personnage hautement romanesque, figure oubliée de l’histoire, Jeremiah Reynolds impose par sa sincérité et son audace, mais aussi par le talent qui fait sa légende. Ainsi, la fiction biographique de Christian Garcin, merveilleusement documentée sans être rébarbative, évoque également, avec force d’anecdotes, l’influence décisive des écrits de Jeremiah Reynolds sur l’une des oeuvres d’Edgar Allan Poe, intitulée Les Aventures d’Arthur Gordon Pympubliée en 1838. Cependant, c’est peut-être le lien entre Jeremiah Reynolds et Herman Melville qui suscite, une fois arrivé à la fin de la lecture, le plus d’interrogations et de fantasmes. En effet, le narrateur ne manque pas de revenir sur le récit de chasse au cachalot blanc qu’a rédigé Jeremiah Reynolds lors de son demi-tour du monde, un écrit oublié qui aurait peut-être inspiré Herman Melville pour son chef d’oeuvre Moby Dick.

 

 

Roman d’exploration, histoire d’une vie qui se réinvente d’un chapitre à l’autre avec une grande énergie, c’est aussi toute l’expérience et les idéaux liés à la découverte de mondes nouveaux que l’on revisite avec Les vies multiples de Jeremiah Reynolds. Une chronique qui porte donc avec elle de grandes espérances, quelques déboires, et une expérience toujours singulière de l’altérité, comme en témoignent de nombreux passages. Nous en avons tout particulièrement apprécié un qui relate l’expédition antarctique de Jeremiah Reynolds en 1829 :

 

 

On peut comprendre que l’expérience vécue par Reynolds et ses compagnons pût raisonnablement, avec un peu de recul, le pousser à en retracer le souvenir avec un soupçon de dramatisation et de pathos caractéristiques qui de plus n’étaient pas totalement étrangères à la littérature d’aventure de l’époque. Il ressort en tout cas de la lecture de ce rapport une sensation d’enthousiasme actif du début à la fin de l’expédition, y compris dans les situations les plus périlleuses.

 

Les navires étaient arrivés à proximité d’une terre totalement bloquée par d’énormes icebergs (« immenses et imposantes îles de glace qui sont la splendeur de ces régions qui font l’intérêt aussi bien que le danger des voyages polaires »), terre qu’ils identifièrent par la suite comme étant le continent antarctique. 

 

« Personne, si flegmatique et insensible fût-il, ne pouvait contempler pour la première fois la gloire et la majesté qui nous environnaient sans en éprouver une intense excitation. Nous avions souvent lu, dans les récits de Ross, Parry et Franklin, diverses considérations sur la beauté sublime des régions polaires, les énormes montagnes de glace, les îles flottantes qui s’élèvent jusqu’aux nuages et atteignent des profondeurs insondables, « lugubres dans leurs linceuls de brume ». L’amour de l’aventure, que nous éprouvions avec force et intensité, était devenu la passion maîtresse de nos âmes. Air doux et climats tempérés n’avaient que peu d’attrait pour nous. Depuis longtemps nous attendions avec impatience de pouvoir admirer les royaumes de la neige et de la « glace épaisse », et à présent, pour la première fois, inhalant le souffle froid des icebergs polaires qui se dressaient autour de nous, face à leur grandeur effrayante et sublime, nous accomplissions tout ce dont nous avions rêvé. »

 

Une chaloupe fut lancée, avec vingt hommes à bord. Mais une tempête survint, qui la força à s’engouffrer le long du rivage entre alignements rocheux et abrupts d’un côté et d’énormes icebergs de l’autre, ceci sur une assez longue distance. Bringuebalée par la puissance des flots, la chaloupe était parfois propulsée à la verticale, manquant de chavirer à plusieurs reprises. Certains des hommes tombèrent dans l’eau glacée mais, en dépit des puissants remous, leurs camarades purent à chaque fois les repêcher. Après plusieurs heures de combat contre les flots déchaînés, ils atteignirent enfin une petite île qu’aucune de leurs cartes n’indiquait, si bien que, ignorant où ils se trouvaient, ils ne pouvaient tenter de rejoindre l’Annawan et le Penguin. Ils décidèrent donc d’accoster afin de tenter de trouver un promontoire à partir duquel ils pourraient localiser leur position. Ils préparèrent du matériel à cet effet (« une marmite de campement, une poudrière, quelques mousquets, des boîtes étanches et diverses fournitures et provisions ») et avancèrent vers le rivage à la rame, pleins d’un enthousiasme dont il n’est pas interdit de penser que Reynolds s’en fit l’écho a posteriori avec un rien d’exagération : « L’aventure qui nous était promise à présent, avec son cortège de hasards et d’imprévus, accroissait encore notre curiosité et notre excitation ».

 

 

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Les vies multiples de Jeremiah Reynolds paraît le 6 janvier 2016 aux éditions Stock.

Ce que nous avons préféré

– L’univers et l’intrigue : 9/10

– Les personnages : 8,5/10

– Le style : 9/10

 

 

Où lire (ou ne pas lire) ce livre : à lire en extérieur, pour ressentir le frimas hivernal à la terrasse d’un café, dans un parc ou un jardin.

 

 

Quand lire (ou ne pas lire) ce livre : en plein hiver, pendant les jours les plus froids, et pour les plus chanceux, pendant les vacances d’hiver au ski !

 

 

Pour accompagner votre lecture : un châle tout doux, et une crème glacée au chocolat et noix de macadamia.

 

 

A qui prêter / offrir (ou pas) ce livre : à cet ami avec qui vous vous êtes promis de partir ou repartir à l’aventure.

 

 

Bonnes lectures à tous !

 

 

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A propos de Cecilia Sanchez 290 Articles
Chargée de communication et rédactrice chez Booknode

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