Plus de 450 millions d’exemplaires vendus dans le monde dans 67 langues dont le latin et le breton, troisième au podium des meilleures ventes de toute l’Histoire derrière la Bible et le livre de citation de Mao Tsé Toung, et une auteure devenue milliardaire grâce à son oeuvre littéraire, la série Harry Potter cumule les succès et a suscité de nombreuses controverses depuis sa sortie en 1997 : littérature ou pas littérature ? Registre fantastique ou plutôt merveilleux ? Vous vous êtes vous-mêmes posé la question et entamé un débat passionnant à ce sujet.
Si nous pouvons convenir assez aisément qu’Harry Potter est un phénomène majeur de la littérature contemporaine sans appartenir toutefois à la littérature au sens puritain du terme, il serait intéressant de définir avec plus de précision les contours de son registre. Les lecteurs et fans de la saga ainsi que quelques spécialistes hésitent souvent entre fantasy, fantastique et merveilleux. Si ces trois registres ont en commun d’appartenir à la littérature de l’imaginaire, ils diffèrent les uns des autres par leurs codes et leurs procédés. Deux questions se posent alors à nous : d’abord, quelles différences existe-t-il entre fantasy et fantastique, puis, comment trancher entre fantastique et merveilleux ? Nous espérons que vous arriverez à y voir plus clair à la fin de cet article.
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![le horla](https://actus.booknode.com/wp-content/uploads/2016/07/le-horla.jpg)
Le registre fantastique se définit par l’intrusion d’un ou plusieurs éléments surnaturels dans le cadre réaliste d’un récit. L’histoire racontée trouve donc son ancrage dans le monde réel et c’est l’introduction progressive d’événements ou d’objets inexplicables qui font basculer l’intrigue dans une nouvelle dimension. Tzvetan Todorov différencie le fantastique du merveilleux en évoquant l’hésitation induite par le fantastique et le flou entre ce qui est du domaine du naturel et ce qui relève du surnaturel, entre ce qui est apparemment logique et ce qui se présente comme illogique.
Alors que le héros du merveilleux va trouver tout à fait normal de côtoyer des elfes, le héros d’un récit fantastique vit le surgissement du surnaturel comme un événement inquiétant et anormal dont il refuse la plupart du temps l’existence au nom du rationnel, et qu’il va chercher à neutraliser pour revenir à une situation normale.
Les exemples de littérature fantastique ne manquent pas, d’autant qu’il s’agit d’un registre qui côtoie la plupart des genres, du policier à la romance en passant par le thriller et la science-fiction.
Exemples types : Le Horla de Guy de Maupassant, Le Portrait de Dorian Gray de Oscar Wilde.
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![perrault-petit-poucet-dore](https://actus.booknode.com/wp-content/uploads/2016/07/perrault-petit-poucet-dore.jpg)
Le registre merveilleux quant à lui pose un univers qui appartient au surnaturel, à la magie et à la féerie et qui dépeint une réalité indéfinie, différente de la nôtre et située au-delà de celle-ci, dans un passé ancien ou un ailleurs temporel. Même flou autour des lieux, qui sont récurrents et symboliques : la forêt, le château. L’univers merveilleux se caractérise par ailleurs par sa dimension naïve, la magie étant une normalité et la croyance au surnaturel une convention. D’où l’existence considérée comme habituelle de créatures fantastiques comme les fées, les ogres ou les monstres, et d’objets fabuleux tels que les baguettes, vêtements et miroirs magiques, ou les bottes de sept lieues.
Contrairement au fantastique, le merveilleux n’est pas ancré à la réalité et ne s’y rapporte pas. Le surnaturel et la magie y sont considérés par le héros comme des éléments qui vont de soi.
Exemples types : Les Contes de Charles Perrault, des frères Jacob et Wilhelm Grimm ou de Hans Christian Andersen.
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![game-of-thrones-daenerys](https://actus.booknode.com/wp-content/uploads/2016/07/game-of-thrones-daenerys.jpg)
Le terme fantasy serait quant à lui apparu pour la première fois en 1949 aux Etats-Unis avec la création de la revue The Magazine of Fantasy. Souvent confondu avec le fantastique par raccourci, il doit plutôt être considéré comme un sous-genre du registre fantastique. Dans son ouvrage intitulé Cartographie du merveilleux, André-François Ruaud définit ainsi la fantasy comme une littérature incorporant « un élément d’irrationnel » qui doit :
- ne pas être uniquement horrifique
- présenter un aspect mythique
- faire surgir l’utilisation de la magie
Si la définition semble claire, elle n’en demeure pas moins très large et conduit d’autres spécialistes à envisager la fantasy plutôt comme « une remise au goût du jour de la littérature d’imagination, entre merveilleux et fantastique ». La fantasy serait alors le versant moderne des deux registres classiques définis précédemment. Anne Besson, auteure du merveilleux et son bestiaire, approfondit cette définition et évoque alors l’intrusion du surnaturel dans un cadre réaliste pour définir la fantasy. L’apparition de faits qui seraient inexpliqués et inexplicables dans le monde réel sont tacitement acceptés par le lecteur comme des éléments normaux de la fiction qu’il lit. A ce titre, la fantasy se rapprocherait davantage du merveilleux, où l’imaginaire évoqué n’est pas réaliste (les fées, les elfes et les géants ne sont pas des créatures qui existent « dans la vraie vie ») mais est perçu comme une norme dans le monde où il prend forme (les fées, les elfes et les géants sont des créatures qu’il est commun de rencontrer pour les personnages humains de la fantasy).
Ces définitions successives permettent de situer la fantasy dans un monde parallèle au monde réel mais distinct de celui-ci, ayant ses propres créatures imaginaires, ses propres mythes et sa magie. Plusieurs variantes existent, comme la fantasy urbaine qui prend place dans le monde contemporain, la space fantasy, qui est plutôt futuriste, et la fantasy médiévale enfin, qui appelle à un imaginaire ancien où cohabitent les guerriers, la magie et la sorcellerie.
Exemples types : Le Trône de fer de George R. R. Martin, Le Seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien.
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Si l’on s’intéresse à nouveau à Harry Potter, on s’aperçoit qu’il se situe à mi-chemin entre la fantasy et le merveilleux parce qu’il fait exister deux mondes distincts et met en parallèle deux réalités. D’une part, l’univers des Moldus (le commun des mortels), qui est rationnel et rassemble des individus pour qui la magie est un postulat non irrationnel et donc non crédible, sauf pour les sorciers élus. D’autre part, le monde des sorciers, avec son école, Poudlard, ses codes, ses créatures, ses lois, tous magiques.
Si l’intrigue propose de nombreuses interférences entre le monde des Moldus et celui des sorciers, il est cependant incorrect de classer Harry Potter dans le registre fantastique, puisque l’essentiel de l’intrigue est détachée du réel. En revanche, il est plus juste de qualifier la saga de merveilleuse en ce sens que le monde des sorciers admet la magie comme une norme.
De nombreux spécialistes affirment l’appartenance des romans de J.K. Rowling à la fantasy. Si l’hypothèse est évidemment plausible au regard de l’existence de deux mondes parallèles, il n’en demeure pas moins qu’Harry Potter semble faire figure à part dans le vaste univers de la fantasy, notamment parce qu’il est situé dans une époque donnée, la nôtre, et qu’il déploie un imaginaire large mais particulièrement lié à des croyances et références que l’on associerait sans l’ombre d’un doute au merveilleux. il est donc possible et pertinent de considérer Harry Potter comme un hybride entre le merveilleux et la fantasy ou de le classer dans l’un ou l’autre de ces registres…en attendant de trouver un nouveau nom ?
La manie du classement va jusqu’à diviser la fantasy en catégorie, comme dark fantasy, urban fantasy etc
Ce qui rend encore plus difficile de classer Harry…
Très bon article, ça fait des années que je me pose la question, et j’en était à peu près parvenu à cette conclusion !
Mais bon, les éditeurs français préfèrent fantastique car c’est beaucoup plus vendeur, les parents peuvent rapprocher cela au Horla ou autre, et il s’imaginent donc que c’est plus littéraire qu’un livre de fantasy qui est de la sous-littérature encore aujourd’hui.
Et pour le merveilleux c’est encore pire puisqu’on se réfère uniquement aux fables ou aux contes de fées, qui sont considérées comme de la littérature pour petits enfants, ça risque d’être dur d’expliquer à un ado que c’est de son âge.
D’ailleurs, les livres de Pierre Bottero sont dans le même cas : deux mondes parrallèles, un monde ordinaire et un autre merveilleux / de fantasy où l’intrigue principale va se dérouler. Et là aussi, c’est du fantastique pour l’éditeur x’)
Harry Potter me semble être de la low fantasy (l’entre-deux entre fantasy et merveilleux évoqué dans l’article).
Deux « mondes » (le notre et un autre) dont au moins un ne connait pas l’existence de l’autre (wikipedia dit « aucun des deux »: https://fr.wikipedia.org/wiki/Low_fantasy)
Par exemple les œuvres de Pierre Bottero en font aussi partie.
Sinon, classer Harry Potter dans le fantastique ne me semble pas totalement déplacé, car cela se passe dans notre monde et du point de vue des moldus les événements sont étranges et inexplicables.
La fantasy pure se passe dans un autre monde normalement donc ça ne me semble pas convenir.
Et le merveilleux implique que la magie est la norme pour tout le monde, mais ce n’est pas le cas pour les moldus, donc… =(
Je penche pour la low fantasy
Bonsoir,
C’est quand même typiquement français de vouloir tout classer (voir les sous-genres dans le métal, lui même un sous-genre du hard-rock, sous-genre du rock, etc. etc.).
Alors, Harry, quel genre ?
Simple : merveilleux.
Parce que c’est quand même merveilleux d’attirer des lecteurs vers le livre à l’époque du tout dématérialisé, à une époque où un film qui « cartonne » a un scénario anorexique, une époque où réfléchir est un acte quasiment rebelle, etc.
😉
Quand au débat littérature/non-littérature, il n’existe tout simplement pas, vu qu’il n’y a pas une définition exacte de ce mot…
😉