Phénomène : Ecouter ou lire un livre revient-il au même ?

article 16.08

Dans un récent article paru sur le site nymag.com, la journaliste américaine Melissa Dahl relate une expérience en apparence banale de sa vie de lectrice. Au sein de son club de lecture, l’une des membres arrive un jour en disant avoir écouté la liste de livres proposée plutôt que de l’avoir lue. Tous les autres lecteur du groupe s’accordent alors à dire qu’il s’agit d’une forme de triche, mais parallèlement, aucun n’est capable de dire pourquoi. A ce moment-là, le soupçon de tricherie relève plus d’un sentiment généralisé que d’un fait acté. D’où la question : écouter un livre, est-ce tricher ? Ou plutôt, écouter un livre ou le lire revient-il au même ?

A cette question, le psychologue et chercheur Daniel Willingham répond avec agacement. Dans un récent article de blog, il affirme alors : « Je me suis souvent entendu poser cette question, et je la déteste. […] Se demander si l’esprit fonctionne de la même façon selon qu’on écoute un livre audio ou qu’on lit un livre papier serait plus pertinent. La réponse est : en grande partie. » Il explique par la suite que si l’on traite la question depuis un point de vue cognitif (les connaissances emmagasinées pendant l’écoute ou la lecture classique), il n’y a, a priori, pas de grande différence entre l’écoute et la lecture d’un livre, et écouter un livre audio n’est donc absolument pas de la triche. L’impression de triche évoquée au début de l’article provient, selon Willingham, d’un décalage de perception : on a l’impression que lire demande plus d’efforts que d’écouter, ce qui est en quelque sorte vrai, mais pas complètement.

L’article revient alors sur les deux processus fondamentaux qui interviennent dans le cerveau lorsqu’on lit ou qu’on écoute un livre. De façon très générale, on distingue le décodage d’une part, et la compréhension ou assimilation de l’autre. Le premier consiste à assembler les lettres en des mots porteurs de sens. Le second permet de se figurer la syntaxe et de saisir le fil de l’histoire. Willingham précise que ce processus est à peu près le même selon que l’on lit ou que l’on écoute un livre. Une autre chercheuse, Olga Khazan, en se fondant sur une étude datant des années 1980, soutient elle aussi que ceux qui lisent bien écoutent bien. En 1977, une autre expérience a permis de démontrer que des étudiants ayant lu ou écouté une nouvelle étaient capables de la résumer avec le même niveau de précision.

Daniel Willingham précise que le processus de décodage est spécifique à la lecture et n’intervient pas à l’écoute, ce qui explique peut-être que l’on trouve inconsciemment plus compliqué de lire un livre que de l’écouter. Il ajoute néanmoins qu’une fois l’apprentissage de la lecture acquis, le décodage est intuitif et automatique, et ne demande au cerveau que très peu, voire pas de travail.

Ce qui diffère peut-être donc davantage entre la lecture classique et l’écoute d’un livre, c’est l’habitude. L’efficacité et la vitesse de décodage et de compréhension, elles, s’accroissent avec la pratique. Autrement dit, plus vous lisez, plus vous êtes à même de lire un livre papier ou écouter un livre audio indifféremment, sans être perturbé par cette dernière forme de lecture, moins classique et peut-être moins familière.

Enfin, la dernière donnée qui expliquerait, selon Willingham, que l’on perçoive l’écoute de livres comme de la triche tiendrait à une vision trop scolaire de la lecture. Beaucoup de gens considèrent la lecture d’un livre comme un effort et un achèvement. « Il y a cette impression, lorsque vous avez terminé de lire un livre, que vous avez avez du mérite, et que l’on devrait vous féliciter pour cela » affirme Daniel Willingham. Cette idée peu sensée mais très ancrée est un vestige de nos années d’école où chaque livre lu était perçu, pour ainsi dire, comme une sorte de trophée. Considérer l’écoute de livres audio comme un raccourci ou de la triche ne serait donc qu’une idée reçue façonnée par de fausses intuitions, et influencée par une certaine forme d’éducation et d’apprentissage.

+1
6
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0
A propos de Cecilia Sanchez 290 Articles
Chargée de communication et rédactrice chez Booknode

10 Comments

  1. Étant une grande amatrice de livres papier, tout autant qu’audio, je préciserai que le ou les lecteurs ou lectrices des livre audio sont tout aussi importants!!!
    Si c’est une personne ou plusieurs, s’ils sont de genre masculin et féminin pour les différents personnages, s’il y a ou non des bruitages, si la lecture est fluide ou non, si la voix est agréable ou monocorde, si ce sont des professionnels ou des amateurs, etc….
    Tous ces facteurs vont malheureusement aussi entrer en ligne de compte et faire que l’on appréciera plus ou moins une écoute et du coup le roman à la base…
    Il y aurait donc aussi une différence de perception à ce niveau là.

  2. Par rapport à mon commentaire précédent, il y a eu une erreur de frappe dans mon identifiant BookNode. Désolée.

  3. Je n’ai absolument rien contre les livres audio. Je pense même que ceux qui n’aiment pas lire devraient essayer d’écouter un livre (c’est un peu tordu mais je ne sais pas très bien expliquer ce que j’en pense 😐 ). Mais personnellement, j’ai une fois essayé d’écouter un livre audio et comme je n’arrivais pas à m’imaginer les personnages, leurs actions… j’ai fermer les yeux pour mieux « visualiser ». Je ne suis pas fière de moi, mais je me suis endormie ! Alors je pense qu’il vaut mieux que je lise mes livres plutôt que de les écouter !

  4. Pour moi, écouter est plus difficile que lire un livre. D’une part, parce que l’école nous enseigne plus à lire mais pas écouter. De plus, c’est plus difficile de visualiser les scènes. L’imagination a moins sa place dans l’écoute car les mots s’enchaînent sans qu’on puisse se les imprégner. L’écoute d’une lecture s’avère pour moi plus difficile surtout quand on n’a pas le support papier dans les mains. Après, c’est une question d’habitude. Je n’ai jamais écouté un livre audio. Je préfère la lecture pour le support papier qui est plus relationnel à mes yeux.

  5. Je ne sais pas si « écouter » un livre est de la triche (après tout, c’est ce que font tous les enfants à qui on lit des livres…), mais en ce qui me concerne, j’ai beaucoup de mal à le faire. J’ai un peu l’impression que le lecteur me « lèse » d’une partie importante du plaisir de la lecture qui est la représentation/interprétation imaginaire qu’on se fait dans sa tête, ce qui fait que je ressort bien souvent plus crispée de l’expérience qu’autre chose…

  6. Pour ma part, l’écoute de livres que je réalise en jardinant, en marchant ou en cuisinant me permet simplement de lire davantage de livres que si je devais m’arrêter pour ne faire que ça. Comme je suis plutôt boulimique de lecture, je consomme aussi des livres papier ou sur liseuse tout dépendant de la disponibilité du livre qui m’intéresse ou même du côté pratique de la chose… si l’on considère la quantité de livres qu’un si petit objet peut transporter durant un voyage par exemple. Lorsque je repense aux livres que j’ai écoutés j’ai parfois l’impression d’avoir visionné des films tellement je me les imagine, mais en y réfléchissant bien on arrive aussi à se faire ce petit cinéma en lisant un livre en papier. La magie peut s’opérer de différentes façon, l’important est de rêver à travers la lecture.

  7. L’écoute d’un livre s’avère fort intéressant comme moyen lorsque l’on a pas beaucoup de temps pour lire (papier ou ebook). J’aime beaucoup cette façon de découvrir les livres et c’est souvent ce moyen là (donc première approche) qui me donne envie de lire un ouvrage…

    Merci pour cet article que je qualifierai de « décomplexant » 🙂

  8. Quel que soit le canal de transmission (livre, film, livre audio, théâtre…), j’ai toujours adoré découvrir des histoires. Qu’on me les raconte n’en est que plus fun, j’en veux à ces souvenirs d’enfance autour de bons albums en famille et à l’école – et non, ça n’a pas disparu à l’âge adulte. Je dois avouer que les livres audio ont leur autre petit avantage : c’est comme la musique, ça s’écoute n’importe où et quand on veut. Donc quand je me déplace, dois faire du travail manuel ou dans les transports (aux heures de pointe), je peux connaitre la suite sans devoir attendre d’avoir les mains libres. Fini le « encore un chapitre et j’y vais »!

  9. Écouter un livre ce n’est pas lire un livre. Si de toute sa vie on n’a fait qu’écouter des livres audio sans jamais lire, on peut parler de Guerre et Paix, des oeuvres de V Hugo ou de Shakespeare, tout en étant illettré.
    Je lis un livre et j’écoute un livre audio / audiobook. Pourquoi utiliser un mot dont la définition même n’est pas appropriée à l’activité?

1 Trackback / Pingback

  1. Lire ou écouter – C – Oxford French Tuition

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*