Phénomène : Ces personnages de livres qui viennent habiter notre réalité

midnight personnages
Le protagoniste principal de « Midnight in Paris » de dos, en plein dialogue imaginaire avec F.Scott Fitzgerald et Salvador Dali

Vous est-il déjà arrivé de ressentir, au moment de reposer un livre, qu’il a changé votre vie ? Vous êtes-vous déjà demandé, dans une situation précise, ce que tel ou tel personnage ferait à votre place ? Si tel est le cas, vous faites alors peut-être partie de ce cinquième de lecteurs pour qui la fiction déborde allègrement sur la réalité.

Vous n’êtes pas fou, vos personnages préférés vous parlent

Un article publié sur le site du Guardian synthétise les résultats d’une enquête menée par la Durham University sur 1 500 lecteurs. A partir de 400 témoignages détaillés dans lesquels des lecteurs racontent leur rapport aux livres et l’expérience vécue au travers de la fiction, les chercheurs ont pu tirer un certain nombre de données. On apprend par exemple que pour 90% des personnes interrogées, les voix des personnages d’un livre résonnent encore en eux voire influencent le style et le ton de leurs pensées en dehors du temps de la lecture. Cette intervention du personnage dans le cadre réel du lecteur peut prendre différentes formes : celle d’un personnage qui narre le quotidien du lecteur, d’un dialogue entre le personnage et son lecteur, ou d’une substitution de l’un par l’autre.

Une autre donnée de l’étude nous informe que plus de la moitié des participants à l’enquête a déclaré entendre, la plupart du temps, la voix des personnages pendant la lecture. De la projection de la voix des personnages pendant la lecture à l’interaction avec eux en dehors du livre, il n’y a qu’un pas et c’est Charles Fernyhough, écrivain et psychologue, qui en explique les mécanismes dans l’article. Il définit ainsi le processus de lecture non comme la simple superposition de sens sur des mots, mais comme un travail de recréation et de transfiguration de l’univers et des personnages décrits dans le roman. Pour certains lecteurs, ce processus inclut une interaction plus ou moins profonde avec les personnages.

Cet embranchement entre le monde fictif et le monde réel a été baptisé experimental crossing par Charles Fernyhough, ce que l’on pourrait traduire en français par le « croisement » ou la « traversée empirique ». Celle-ci comprend une large gamme d’expériences pouvant aller de la simple perception de voix de personnages au sentiment que ces derniers influencent les pensées du lecteur. Le psychologue invoque alors l’exemple précis d’une lectrice qui a dit se sentir « enveloppée » par le personnage de Clarissa Dalloway (créé par Virginia Woolf). Elle entendait sa voix et imaginait par transposition la réaction du personnage à des situations concrètes vécues par elle, se demandant à tout hasard quel café choisirait Clarissa Dalloway si elle était à sa place.

Vous pensez que ces hallucinations sont le résultat de quelque folie ? Détrompez-vous. Aucun médium occulte n’est responsable de ces conversations littéraires imaginaires et les personnages de vos livres préférés ne vont pas se mettre à vous suivre partout. En revanche, il existe bien un élément déclencheur, inconscient la plupart du temps, puisque l’impression d’une proximité avec un personnage peut être favorisée par le cadre dans lequel se trouve le lecteur, qui serait similaire à celui du roman, ou par l’identification avec le personnage à un moment donné, qui conduit le lecteur à voir le monde à travers ses yeux.

L’admiration et l’identification, ressorts de nos dialogues littéraires

Autre point important : ces protagonistes qui sautent à pieds joints dans la vie du lecteur sont le plus souvent des personnages « puissants, forts et vifs », bien que ces notions puissent fortement varier d’un lecteur à l’autre. En somme, le lien et le dialogue que l’on tisse avec certains personnages spécifiques sont les signes de l’admiration qui nous conduit à vouloir les prendre pour amis ou pour référents.

Ainsi, en s’intéressant à sa propre expérience de lecteur, Charles Fernyhough définit ses meilleures lectures par une sensation : celle que l’auteur aurait « bricolé et reformaté [son] cerveau ». Puis il détaille cette intuition : « Je sais que je suis en présence d’un grand auteur lorsqu’il me fait remarquer des choses auxquelles je n’aurais jamais prêté attention ; la voix et la sensibilité qui se dégagent du texte absorbent mon attention et font passer certains détails de l’ombre à la lumière. »

C’est donc bien sous la forme d’une révélation que certains personnages nous apparaissent, et c’est seulement parce que nous les admirons que nous faisons en sorte d' »entrer en contact » avec eux. Une idée que confirme dans l’article le romancier Edward Docx lorsqu’il évoque sa relation à Holden Calfield, le narrateur-personnage de L’attrape-coeurs : « Le style de Salinger, qui est si intelligent, fin, perspicace et cool a eu beaucoup d’influence sur moi. Il habitait définitivement mon esprit, me conférant une façon de penser et d’être qui n’était pas envisageable dans ma réalité d’alors. » Pour l’écrivain, ce sentiment d’être habité est très spécifique à la littérature et la différencie des autres formes d’art, car seul un roman peut explorer en profondeur  la complexité et les contradictions de la psychologie humaine.

Pour Fernyhough, la création par un écrivain d’un personnage capable de survivre à la lecture pour venir habiter l’esprit du lecteur est l’un des gages d’un roman réussi. Edward Docx tend à confirmer cette idée, et ajoute, philosophe : « Vous souhaitez secrètement être ami avec Holden Caulfield, vous asseoir quelque part avec lui et faire des vannes. C’est bien sûr une forme de folie [que de désirer ça] mais après tout, la fiction n’est-elle pas elle-même une forme de folie ? ».

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A propos de Cecilia Sanchez 290 Articles
Chargée de communication et rédactrice chez Booknode

3 Comments

  1. Je suis totalement d’accord avec cet article :), même s’il quelques uns de mes livres ne mon pas vraiment parler avec les personnages ils m’ont définitivement fait changer de point de vue sur le monde et grandir intérieurement.
    J’adore ces personnages tellement merveilleux qui nous font penser autrement et qui , je pense, nous marquent pour un bon bout de temps !

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