Phénomène : Les milieux littéraires sont-ils machos ?

Milieux littéraires elizabeth bennet

Il aura fallu attendre 2017 pour qu’un auteur femme figure enfin au programme des classes de terminale L. A partir de la rentrée prochaine, les élèves des sections littéraires étudieront, en plus des Faux-Monnayeurs d’André GideLa princesse de Montpensier de Mme de Lafayette. Dès lors, une question se pose : manque-t-on à ce point d’écrivaines de talent ou le milieu littéraire est-il tout simplement sexiste ? Les thèses penchent évidemment plutôt vers la seconde option. Attention, il ne s’agit pas ici de nier le talent de nos grands auteurs masculins, qui, soit dit en passant, sont aussi dominants car plus nombreux, mais plutôt de souligner la différence de traitement dont font l’objet leurs homologues féminins.

Écrivain, écrivaines, l’inégalité des chances

Première disparité : pour un même manuscrit, un homme aura plus de chances d’être publié qu’une femme. Par ailleurs, certains observateurs soulignent aussi que l’on a tendance à louer davantage les mérites littéraires d’une plume masculine. Une même intrigue soumise à un éditeur serait considérée comme étant huit fois meilleure lorsqu’elle est écrite par un homme. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une règle immuable, et il existe, heureusement, bien des exceptions.

Ce sexisme aussi ordinaire qu’il est historique est une donnée à laquelle les femmes écrivains se sont adaptées très tôt. Mme de Lafayette a publié la plupart de ses œuvres de façon anonyme ou sous le nom de Segrais. Amantine Aurore Lucile Dupin est connue du grand public sous le pseudonyme de George Sand. Du côté anglo-saxon, les exemples ne manquent pas non plus. Les sœurs Brontë ont publié Jane Eyre, Les Hauts de Hurlevent et Le Locataire de Wildfell Hall sous des pseudonymes masculins. Ce procédé a permis aux œuvres de ces auteures d’atteindre un public plus large.

Aujourd’hui, nous constatons que ce phénomène n’est pas uniquement le fait d’époques révolues. Des romancières aussi connues que Nora Roberts et J.K. Rowling continuent d’avoir recours à ce procédé. La première publie aussi sous le nom de J.D. Robb ; la seconde, sous le pseudonyme de Robert Galbraith. Ces choix ne sont toutefois pas motivés par un souci absolu de conformisme.  La double identité de ces auteures vise surtout à délimiter leur univers policier de leur genre principal. Le choix du masculin peut néanmoins étonner.

Le sexisme littéraire, une question de style ?

Dans un livre publié il y a quelques jours, le journaliste Ben Blatt souligne une autre différence entre hommes et femmes, portant, cette fois, sur la manière même d’écrire. L’ouvrage, disponible en anglais, est intitulé Nabokov’s Favorite Word is Mauve. En se basant sur l’analyse de certains mots clés dans une centaine d’œuvres classiques, l’auteur a pu dégager des disparités conséquentes entre écrivains hommes et femmes. Dans les romans de certains auteurs masculins par exemple, le pronom féminin est complètement éclipsé ! Ainsi, dans Le Hobbit de J.R.R. Tolkien, on ne compte qu’une seule occurrence du pronom « elle ». Dans Le vieil homme et la mer et Sa Majesté des Mouches, les pronoms féminins ne représentent que 1% de la totalité des pronoms utilisés. Pourtant, ces œuvres sont lues aussi bien par un public masculin que féminin.

Si, à l’inverse, on se penche sur l’analyse que Ben Blatt fait des pronoms masculins dans les œuvres écrites par des femmes, on s’aperçoit qu’elles favorisent parfois l’usage des pronoms féminins, mais rarement au détriment du masculin. Les cas les plus extrêmes relevés par le journaliste sont les romans Le Club de la chance et Chez les heureux du mondequi comportent tout de même 29% de pronoms masculins.

Ces disparités historiques sont d’autant plus difficiles à corriger qu’elles sont favorisées par un modèle culturel dominant. Il semblerait en effet que la littérature scolaire conditionne dès leur jeunesse filles et garçons à lire des ouvrages où les figures principales sont majoritairement masculines. Quant à l’absence de figures féminines dans certaines œuvres, elle ne semble choquer ni le public masculin, ni le public féminin. La réduction de ces écarts passant par un changement des codes, la situation risque bien de rester figée. Pour combien de temps ?

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A propos de Cecilia Sanchez 290 Articles
Chargée de communication et rédactrice chez Booknode

10 Comments

  1. Pour ma part, je trouve qu’il y a de plus en plus de livres dont le personnage principal est une fille/femme. Et j’ai presque l’impression que c’est au détriment du masculin. Du moins, c’est l’impression que j’ai dans la littérature actuelle et de jeunesse. Beaucoup de roman populaire ont pour héro une héroïne.

  2. Je suis actuellement en terminale L et je suis d’accord sur le fait qu’en 2 ans d’études dans cette section, je n’ai pas ou très rarement étudié de roman qui avait pour auteur une femme.

  3. Je suis d’accord avec la plupart des réflexions émises dans cet article, mais la question des pronoms me chiffonne : les hommes – et les femmes ! – ont encore le droit d’écrire des romans centrés sur des personnages masculins si ça leur chante ! Ça me parait d’autant mieux, d’ailleurs, que je trouve souvent les personnages féminins assez mal écrits par les hommes, et vice-versa : les femmes écrivent souvent des personnages masculins moins crédibles (pour ma part, ça ne m’empêche pas d’essayer ;))

    Sinon, pour reprendre la réflexion d’Aurélie, je ne sais pas si c’est « au détriment » du masculin, mais avec mes élèves cette année on a étudié Aïzan de Marilyne Desbiolles (qu’ils ont beaucoup aimé) : oui, on trouve pas mal de personnages féminins dans la littérature jeunesse, et contrairement à ce qu’on raconte, ça n’empêche pas les garçons de s’identifier.

    Ouf… Pardon pour le pavé.

  4. Un article bien engagé que voilà et plaisant pour ma part dans sa manière de dénoncer (chose encore si peu faite) le sexisme dans l’univers littéraire. Pour répondre à Nath et à tous ceux qui ce seraient fait la même réflexion, certes il s’avère que certain personnages masculins comme féminins soient mal écrit mais cela dépend-t-il uniquement du genre de l’auteur ? En respectant totalement ta pensée, permet moi d’émettre un doute car des personnages comme Harry Potter, pour reprendre l’exemple de J.K Rowling cité dans l’article, est un personnage masculin (pour ma part) excellemment bien rédigé par un auteur féminin. De plus peut-on vraiment parler de personnages « mal écrits » parce qu’ils sont féminins ou masculins, cela soulève une autre réflexion, le sexe et le genre d’une personnes doivent-ils répondre à certains critères pour être considérés comme bien écrit dans un récit ? Pour ma part je ne pense pas, dans un monde où la binarité du genre et les codes sociaux autours des « comportements » attribués de manière sexistes et stigmatisantes aussi biens envers les femmes, qu’envers les hommes, sont de plus en plus remis en question ; je pense qu’on ne peut définir la qualité d’un personnage à sa manière d’être « bien féminin/masculin », ce serait à la fois sexiste mais en plus cela laisserais planer une transphobie dans l’air. Bien sûr Nath, je ne t’accuse pas de sexisme et de transphobie, je ne sais pas qui tu es et comment tu penses, je ne me permet donc pas de te juger en tant que personne sur de simple propos que j’interprète avec toute ma subjectivité et qui pour ta part ont été écrit dans un certain contexte qui m’est inconnu, donc surtout ne t’en offusque pas 😉
    L’article me semble d’autant plus pertinent, notamment lorsqu’il soulève cette « acceptation » sociale et institutionnellement admise aussi bien par les hommes que par les femmes que la figure masculine « doit » prédominer dans un ouvrage littéraire.
    Un très bon article donc, qui j’éspère, sera lu par beaucoup de booknautes et ouvrira de nombreux débats et prises de consciences. Pour ma part je dis bravo à.au.x rédactrice.reur.s. !

  5. Je reste en accord avec la grande majorité de ce qui est écrit dans cet article, néanmoins, ces temps-cis, plein de livres prennent une femme comme personnage principal: hunger games, divergent, la sélection, etc. Je sais que ce n’est pas de la grande littérature, mais la situation n’est peut-être pas si figée qu’elle en à l’air.

  6. Je ne m’étais pas rendu compte que mes propos pouvaient impliquer une différenciation précise des genres, et tu as raison de le souligner. Merci !

    Ce que je voulais dire, c’est que bon nombre d’écrivains mâles semblent avoir une idée de ce que doit être une femme et, quand je découvre ces personnages, je me dis que c’est forcément un homme qui les a faits si binaires. Eugénie Grandet par exemple. Ou, pour piocher dans une littérature beaucoup plus contemporaine, un grand nombre de personnages féminins chez Graham Masterton.

    En fait, ce sont plutôt les auteurs auxquels je pense, qui sont sexistes ! Incapables de se projeter dans l’autre, ils projettent les clichés de genre pour élaborer leurs personnages… En ce sens, je pense qu’il est probablement plus facile pour eux d’écrire un personnage du même sexe qu’eux, car il leur paraît moins étranger… N’oublions pas que l’injonction à être ceci ou cela, pour les hommes comme les femmes, ne date pas d’hier et bien que la société soit en train d’évoluer, il reste du chemin à faire…
    Puis c’est aussi une manière de percevoir les choses : je ne sais pas si je ne comprends pas toujours les réactions de mon compagnon parce qu’il est simplement autre, ou parce que c’est un homme… mais quand on ne sait pas, on va facilement chercher des réponses dans des arguments genrés (ceci pour dire que l’abolition contemporaine des frontières de genre ne coule pas de source.)

    « L’article me semble d’autant plus pertinent, notamment lorsqu’il soulève cette « acceptation » sociale et institutionnellement admise aussi bien par les hommes que par les femmes que la figure masculine « doit » prédominer dans un ouvrage littéraire. »

    Par contre, je ne te suis pas du tout là-dessus… Je suis d’accord avec Lily-emmy-pikachu 🙂

  7. Je vous rejoins (Nath et Lily-emmy-pikachu) sur le fait que le personnage féminin en guise de personnage principal sont de plus en plus nombreux, je me suis mal exprimé, il est vrai que pendant longtemps le personnage masculin dans les œuvres littéraires a semblé prédominant mais que cela évolue depuis peu à l’échelle humaine néanmoins mais assez rapidement ce qui n’est pas pour me déplaire.
    Et pour te répondre Nath, il est vrai qu’on a tendance à s’enfermer dans la « genration » des comportements et que comme tu le souligne si bien cela ne coule pas de source pour tous et toutes. Mais j’ajouterais que c’est en en prenant conscience qu’on a fait le plus grand pas vers une ouverture d’esprit et une déconstruction personnelle des stéréotypes dans lesquels ont a été élevés et qui de fait, nous imprègne plus ou moins sans qu’on en ait une conscience aiguë.

    Un plaisir d’avoir pu ouvrir ce débat néanmoins cela fait toujours extrêmement plaisir de pouvoir échanger ses idées et ainsi faire progresser ses points de vue. Un grand merci 😉

  8. Je suis d’accord ! J’imagine que les modérateurs font aussi un gros travail pour préserver un espace de débats apaisés, alors merci à eux aussi !

  9. Ca fait plaisir de voir un article comme ça 🙂

    Heureusement, en ce moment les choses sont en train de changer. Enfin, on peut avoir des histoires avec de l’action, des dystopies, des thrillers, et bien d’autres avec des personnages principaux féminins. Mais avant, ce n’était pas toujours évident.

    Il est vrai aussi que beaucoup de personnages féminins ont été écrits par des hommes et pas de la meilleure manière, en reprenant plutôt des clichés. Et finalement, peu d’auteures pouvaient s’exprimer sur le sujet.

    Vive la diversité !

  10. Comment interpréter la, forte présence des personnages (principaux) féminins dans la YA actuel ? (divergente, hunger games, 5eme vague, etc)

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