Hommage : Umberto Eco, intellectuel admiré et romancier populaire

 

 

unberto-eco

 

C’est aujourd’hui que sont célébrées les funérailles d’un des plus grands intellectuels et romanciers du XXe et du XXIe siècles, Umberto Eco, décédé à l’âge de 84 ans dans la nuit du 19 au 20 février dernier. Sémiologue, philosophe spécialiste de la communication et des médias, romancier et chroniqueur, la carrière de l’infatigable intellectuel italien est à l’image de son oeuvre, un monument de diversité et de notoriété. Le journal italien « La Repubblica » a d’ailleurs salué Umberto Eco comme « l’homme qui a su transformer la science en roman. » Quant à Matteo Renzi, le Premier Ministre italien, il a exprimé son admiration en évoquant « un exemple extraordinaire d’intellectuel européen, qui alliait une compréhension unique du passé avec une inextinguible capacité d’anticiper l’avenir. » Alors que l’éditeur d’Umberto Eco a annoncé qu’il avancerait la date de parution de son dernier essai, intitulé Pape Satan Allepe, au 23 février, nous vous proposons de retracer le parcours singulier de celui qui a signé, entre autres, l’un des best-sellers les plus marquants de notre époque, Le Nom de la rose.

 

 

De l’enfance dans le maquis aux bancs de la fac et aux médias

 

C’est à Alexandrie, dans le Piémont italien, qu’est né Umberto Eco le 5 janvier 1932. D’ordinaire peu enclin aux confidences, il avoue pourtant avoir grandi « sur fond de guerre et de maquis », précisant qu’ « entre 11 ans et 13 ans, [il a appris] à éviter les balles. » Rien ne le prédispose a priori à devenir une figure éminente des sphères universitaire et littéraire, lui dont les origines prolétaires sont modestes : son père, issu d’une famille nombreuse, a douze frères et sœurs, et il est le premier à devenir un employé dans une famille de tradition ouvrière. Enfant, le jeune Umberto écrit déjà, essentiellement des contes et fictions, mais il s’éloigne vite de ceux, poètes et romanciers, qu’il considère comme « des gens farfelus, inférieurs » pour se consacrer à la théorie.

 

A l’issue de ses études supérieures de philosophie et d’esthétique à Turin, il soutient sa thèse de fin d’études sur l’esthétique de Thomas d’Aquin, qui sera publiée en 1956. L’année suivante, il commence à travailler comme assistant de la programmation culturelle pour la chaîne publique italienne, la RAI. Parallèlement, il entame sa collaboration avec plusieurs revues en tant que chroniqueur. Son intégration aux cercles intellectuels italiens et européens prend de l’envergure avec la création en 1963 du groupe 63, une sorte de groupe de réflexion sur une esthétique nouvelle qui réunit de nombreux artistes et intellectuels. C’est à cette même époque qu’Umberto Eco consolide ses liens avec la presse grâce à des collaborations notoires, avec des journaux italiens et internationaux influents comme « L’Espresso » ou « The Times Literary Supplement ».

 

lector-in-fabula---le-role-du-lecteur-ou-la-cooperation-interpretative-dans-les-textes-narratifs-32422-250-400Cependant, son statut de chroniqueur n’éloigne pas Umberto Eco des bancs de la fac, où il enseigne désormais, et où il s’illustre comme pionnier d’une discipline nouvelle en Europe, la sémiotique, science des signes. La publication de L’Oeuvre ouverte en 1962 pose les bases de son oeuvre sémiologique. Fin expert et théoricien en la matière, il transmet ses savoirs dans plusieurs villes italiennes, à Florence et Milan entre autres, mais également à l’international, intervenant successivement à l’université de Sao Paulo en 1966, à la New York University en 1969 et à Buenos Aires en 1970. A partir de 1971, il enseigne la sémiotique à la faculté de lettres et de philosophie de Bologne, et il finit par obtenir une chaire en 1975 pour cette science qu’il définit comme « une articulation entre réflexion et pratique littéraire, cultures savante et populaire. » Dans les années qui suivent, l’influence de l’intellectuel s’accroît. Sa connaissance et ses nombreuses réflexions sur les médias lui valent d’être directeur de l’Institut des disciplines de la Communication tandis que son statut de chercheur et d’universitaire l’amènent à présider l’International Association for Semiotic Studies. Plus tard, en 1992-1993, il devient titulaire d’une chaire européenne au Collège de France, une distinction de taille pour un chercheur, linguiste, et philosophe tel que lui.

 

Il faut dire qu’entre temps, Umberto Eco s’est fait l’auteur d’essais éminents, parmi lesquels L’Oeuvre ouverte où il s’intéresse à l’oeuvre d’art comme message ambigu interprétable à l’infini, et Lector in Fabula où il travaille son concept de « lecteur modèle », sorte de lecteur intelligent à même de comprendre les intentions de l’auteur, et « d’interpréter les non-dits du texte. »

 

S’il s’intéresse à des disciplines atemporelles et classiques, on constate que dans le même temps, Umberto Eco est un intellectuel profondément ancré dans son époque, capable de traiter de thématiques aussi diverses et actuelles que le football, la publicité ou encore le terrorisme. Régulièrement et avec constance, il s’exprime sur l’actualité dans une volonté renouvelée de « faire du sens là où on serait tenté de ne voir que des faits. » C’est aussi cette ouverture d’esprit qui lui vaut une notoriété qui dépasse les cadres savants pour s’inscrire dans la vie publique de son époque.

 

 

Un romancier adulé

 

le-nom-de-la-rose-456-250-400Peut-être est-ce ce caractère peu prétentieux et proche des gens qui a amené Umberto Eco à écrire des romans qui sont, pour la plupart, devenus des best-sellers. Arrivé à la fiction sur le tard, on peut dire qu’il s’impose vite comme un romancier majeur de son époque. Le Nom de la rose, son premier roman, qui est aussi le plus connu, est publié en 1980 et jouit d’un succès immédiat et tonitruant : 14 millions d’exemplaires vendus, des traductions dans une centaine de langues, et une adaptation cinématographique en 1987. Pourtant, ce triomphe éditorial était imprévisible. En France, de nombreux éditeurs ont refusé de publier le roman de celui qui était à l’époque avant tout un sémiologue. Tour à tour, les éditions du Seuil, et les Maisons Gallimard et Grasset déclinent l’offre de publication, jusqu’à ce que la dernière se résolve finalement à éditer le roman, songeant qu’à défaut d’être un succès, le roman obtiendra peut-être une reconnaissance eu égard de son auteur. Un joli coup pour Umberto Eco, qui rappellera plus tard, comme une anecdote, qu’il déteste son premier roman et qu’il ne comprend pas que le public puisse autant l’aimer. Son second roman, Le Pendule de Foucaultpublié en 1988, rencontrera lui aussi un succès phénoménal.

 

Son troisième ouvrage fictif, intitulé L’Ile du jour d’avant, paru en 1994 est plus nostalgique et plus personnel. Par endroits, on lui apposerait presque l’étiquette de roman autobiographique tant il est révélateur d’une certaine identité piémontaise et d’un milieu social spécifique. Cette dimension autobiographique, le lecteur la retrouve dans La Mystérieuse Flamme de la reine Loana, roman sorti en 2004 dans lequel le personnage principal incarne une sorte de double de l’auteur en quête de souvenirs et d’identité. Contrairement à L’Ile du jour d’avant, dont l’intrigue se situe au XVIIe siècle, ici, l’histoire prend racine dans l’Italie des années 1930, contemporaine à l’enfance d’Umberto Eco.

 

Baudolino (2000), Le Cimetière de Prague (2010), et Numéro Zéro (2015) confirmeront les talents de romancier d’Umberto Eco. Si l’on peut voir dans ses fictions la transposition de certaines de ses théories et réflexions, notamment celles portant sur des thématiques comme le complot, la falsification et le traitement contemporain de l’information, on distingue pourtant assez bien deux grandes périodes dans la vie d’Umberto Eco. Des périodes qu’il distinguait et différenciait lui-même avec une pointe de crédulité : « il s’est produit un tournant dans ma vie qui correspond à la structure de ma main […] ma ligne de vie s’arrête et reprend plus loin, comme s’il y avait une rupture. Eh bien, c’est de fait ce qui s’est produit. Jusqu’à la cinquantaine, j’étais un théoricien. Après, je suis devenu romancier. Pourquoi cette rupture ? Parce que j’étais trop satisfait de ce que j’avais ! J’avais obtenu tout ce que je voulais : une chaire universitaire, des livres de sémiotique traduits dans une dizaine de pays… J’ai eu envie d’essayer autre chose » déclarait-il en 2014 dans une interview au magazine Psychologies.

 

Amoureux de la langue et inventeur d’histoires qui ont marqué leur siècle, puisse-t-il en être ainsi. C’est avec émotion et curiosité que nous nous plaisons à contempler la perspective de lire et relire ce géant de la littérature, ce savant littérateur, ce décrypteur passionnant du monde moderne.

 

+1
0
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0
A propos de Cecilia Sanchez 290 Articles
Chargée de communication et rédactrice chez Booknode

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*