Décès de l’académicien Jean Dutourd

L’académicien Jean Dutourd est mort à l’âge de 91 ans à son domicile parisien lundi soir 17 janvier 2011. Réactionnaire, provocateur, ronchon, l’écrivain était devenu une figure familière de la littérature et des médias en brocardant pendant plus de 50 ans le conformisme et la médiocrité de l’époque.


« Chez Jean Dutourd, résistant et intime de Gaston Bachelard, la provocation n’a jamais éclipsé l’engagement et la profondeur de la pensée », a indiqué un communiqué de l’Elysée. « Brillant styliste dans la grande tradition de Stendhal et de Giono, il était aussi le peintre âpre et lucide de l’âme humaine dont tous les lecteurs de « Au bon beurre » garderont le souvenir », a indiqué le chef de l’Etat.

Dutourd avait un physique de grognard, avec pipe et moustaches, et l’âme d’un résistant. Né en janvier 1920 à Paris, mobilisé et fait prisonnier en 1940, il s’évade pour rejoindre la Résistance, où il est co-fondateur du mouvement Libération-Sud. Arrêté une nouvelle fois en 1944, il s’évade à nouveau et participe à la Libération de Paris.

Dès lors, l’écrivain empruntera les chemins de traverse pour dénoncer la bêtise triomphante et les modes, les jargonneurs et l’air du temps.

« Nous sommes, sans aucun doute, beaucoup plus bêtes aujourd’hui qu’il y a cent ans. Et d’une toute autre bêtise, expliquait-il. Celle du XIXè siècle était cartésienne… C’était une bêtise d’idées. Aujourd’hui, il n’y a plus d’idées, la bêtise est toute nue, fondée sur le vocabulaire : on dit n’importe quoi, du charabia, des choses qui n’ont pas de sens ».

Ecrivain, Jean Dutourd donne le meilleur de son œuvre dès les années 1950. « Au bon beurre », prix Interallié 1952, brosse le portrait caustique d’un couple d’épiciers opportunistes et cruels sous l’Occupation. Un livre qui lui vaut l’image d’un boutiquier des lettres roublard dont il fera son fonds de commerce.

Admirateur inconditionnel du général de Gaulle, cet érudit bourru, qui puisait ses références chez Montaigne, Proust et Balzac, sera de 1963 à 1999 chroniqueur puis éditorialiste du quotidien populaire France Soir.

Le 14 juillet 1978, un attentat à la bombe, jamais revendiqué, détruit son appartement parisien. « Ca m’a rajeuni. Ca m’a rappelé l’époque où c’est moi qui posais les explosifs », dit-il alors : « Ca prouve au moins que j’ai du style ».

Entre temps, son oeuvre s’est enrichie d’une trentaine de titres. Des « Taxis de la Marne » (1956) au « Demi-solde » (1964), ou au « Printemps de la vie » (1972).

Elu en novembre 1978 à l’Académie française, il peaufine son image de râleur renfrogné et aligne les essais polémiques et les odes à la France d’autrefois : « De la France considérée comme une maladie » (1982), « Henri ou l’Education nationale » (1982) ou « La Gauche la plus bête du monde » (1985).

Dans les années 80, le prosateur élitiste, l’acrobate de l’imparfait du subjonctif, élargit son public avec l’émission « Les Grosses têtes » sur RTL, à laquelle il participe assidûment. Dutourd répond à toutes les questions, au côté d’improbables vedettes du show-biz. Il devient en quelques années un personnage familier de la radio et de la télévision, l’académicien de service, au côté de l’aristocratique Jean d’Ormesson.

Homme de droite, pourfendeur de la science et du progrès, cet esprit malin, père de deux enfants, dont une fille décédée, savait susciter l’admiration au delà de son camp quand il s’agissait de défendre la langue française. « Dans une époque de misère grammaticale, c’est agréable de trouver quelqu’un qui sait écrire », a dit de lui Philippe Sollers.

Ses prises de positions controversées en faveur des Serbes de Bosnie lors du conflit dans l’ex-Yougoslavie, comme son rejet virulent de la féminisation des noms à la fin des années 1990, firent en revanche grincer des dents.

Le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, a salué mardi en Dutourd le « défenseur ardent et inspiré des lettres françaises ».

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