Phénomène : Le bookcrossing, partagez vos livres, rencontrez des gens

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Le Bookcrossing consiste à déposer / trouver des livres dans les espaces publics.

 

Nous nous plaignons souvent de ne plus lire, et pourtant, nous n’avons jamais autant lu qu’à notre époque. Ce qui a profondément changé en quelques années, ce n’est en effet pas tant notre façon de lire que la façon dont nous consommons les livres. La vague numérique, que l’on a longtemps cru déferlante, semble s’amoindrir. Si l’on en croit les chiffres du Monde, la concurrence imposée par Amazon aux libraires français ne leur est pas si préjudiciable. Ainsi, entre 2010 et 2014, la part de marché des libraires est passée de 45,5% à 43%, soit une baisse de 2,5%, bien moins que le cataclysme annoncé au début de la décennie. En revanche, le temps et le budget consacrés aux livres par les consommateurs connaissent une baisse plus sensible. Le temps passé à lire, qui était de 5h48 par semaine en 2011 n’était plus que de 5h20 en 2013. Quant au budget annuel alloué à la lecture par les Français, il a évolué de 94,60€ en 2011 à 81,20€ en 2013. Sans surprise, on vend aussi moins de livres : de 379 millions d’exemplaires en 2009, le marché de l’édition est passé à 351 millions d’exemplaires en 2014.

 

 

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La plateforme leader, Bookcrossing.com, a pensé à tout. Les utilisateurs peuvent emballer leurs livres pour les laisser en bon état.

La crise économique, le délitement du lien social, l’essor du numérique et la saturation qui l’accompagne induisent par ailleurs un changement de paradigme de la culture. La meilleure réponse à ces problématiques réside dans le développement de l’économie collaborative, ou économie du partage, dont les représentants, nombreux, séduisent par leur capacité à concilier proximité sociale et croissance économique. La culture et le marché du livre n’échappent pas à cette tendance de fond, allant même parfois plus loin. Le Bookcrossing illustre bien ces évolutions sociales et de consommation. Inventée en 2001 par Ron Hornbaker, cette pratique consiste à lire des livres et à les laisser à la disposition des passants dans un espace public. C’est là,  en quelque sorte, une nouvelle manière d’intégrer la lecture à la vie quotidienne contemporaine. En 2007, Mickaël Dandrieux, alors chercheur à la Sorbonne, soulignait la pertinence particulière de ce mode de consommation de la lecture, en précisant qu’ « il y a une correspondance entre l’imaginaire et le vagabondage géographique, [que] le Bookcrossing cristallise. Et [que] ce n’est que la partie émergé d’une tendance de fond dans notre société. »

 

 

L’économie du partage dans laquelle nous vivons a par ailleurs consacré l’ère de la dépossession. Le bonheur, que l’on a longtemps associé à la propriété, ne semble plus, ou en tout cas moins, se trouver dans la jouissance de biens matériels. Désormais, nous tirons davantage de satisfaction de l’expérience. Et le Bookcrossing s’inscrit parfaitement dans cette dynamique. Ce qu’il apporte, c’est non seulement le partage de livres gratuitement, mais aussi la possibilité d’une rencontre, d’un échange, et la satisfaction de se dire qu’un peu de soi est ailleurs. S’ajoute à cela le charme de déposer un livre sur un banc public, ou d’y trouver celui de quelqu’un d’autre. En somme, c’est un peu de nostalgie couplée à des bénéfices plus tangibles tels que la facilité d’accès à la lecture, le gain d’argent, et la dimension communautaire.

 

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Les livres voyagent au lieu de rester enfermés dans une bibliothèque sans être (re)lus.

 

Si l’idée du Bookcrossing a commencé à émerger à l’aube des années 2000, c’est bien la crise économique qui a accompagné son essor, même si la pratique reste plus ou moins développée selon les pays. La première plateforme de Bookcrossing au monde, Bookcrossing.com, propose à chaque utilisateur d’étiqueter son livre, de le partager, et de suivre où il va. Une initiative qui plaît majoritairement aux Américains, mais qui est également très bien accueillie en Allemagne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou encore en Finlande et au Canada. L’expérience est moins plébiscitée en Australie, en France, au Portugal ou en Espagne, mais elle demeure attractive, et le potentiel de développement de ce genre de projets s’annonce d’ores et déjà prometteur. Les opérations de partage se multiplient depuis un an et demi. En septembre 2014, deux étudiantes québécoises lançaient l’opération « Oublie un livre quelque part » sur Facebook. Pendant sept jours, près de 48 000 personnes ont joué le jeu, avec des taux de participation particulièrement élevés au Québec et en France. Et depuis quelques mois, c’est la start-up Booxup qui se fait la porte-parole du Bookcrossing en France. Grâce à l’application du même nom, il est possible de géolocaliser des utilisateurs et leurs ouvrages afin de partager des livres entre particuliers. En somme, l’entreprise propose une nouvelle façon de découvrir des livres et des auteurs, ainsi que des utilisateurs ayant des goûts similaires aux vôtres. L’objectif ? Construire la plus grande communauté de lecteurs au monde en partant du constat selon lequel 95% des livres que l’on possède ne sont jamais, ou très rarement, lus plus d’une fois.

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Faites passer vos livres à vos amis comme aux inconnus.

 

L’idée a de quoi susciter enthousiasme et engouement, mais pose aussi certaines limites. Quelle viabilité ce modèle économique offre-t-il ? Comment concilier une activité fondée sur le troc, une pratique vieille comme le monde, avec une éthique économique qui permettrait d’éviter les effets pervers de la concurrence déloyale ? En somme, l’idée du Bookcrossing à grande échelle n’est-elle pas trop belle pour être vraie ? Les entreprises tâtonnent encore, en particulier depuis que leur activité est exclusivement liée et dépendante d’Internet. L’aventure d’Oyster, dont l’ambition était de devenir une sorte de Netflix du livre, n’aura duré que deux ans. Lancée en 2013, la plateforme américaine en ligne proposait un catalogue d’environ un million d’ouvrages, accessibles en illimité pour dix dollars par mois. Néanmoins, peu de livres récents étaient présents dans la sélection, et dix dollars par mois, c’est trop cher pour un loisir mineur, qui passe bien après le cinéma, les séries, et la musique. Lorsque l’on considère que les Américains passent une-demi heure à lire par jour contre trois heures devant la télévision, le calcul est vite fait. Ajoutons le lancement du service concurrent Kindle Unlimited par Amazon en juillet 2014, et l’échec d’Oyster était inévitable. Quant à la start-up française Booxup, elle a déjà été pointée du doigt pour concurrence déloyale, et a dû montrer patte blanche avant de reprendre son activité florissante. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas, par amour du livre !

 

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A propos de Cecilia Sanchez 290 Articles
Chargée de communication et rédactrice chez Booknode

3 Comments

  1. La lecture circule, fluide portant la vie de l’esprit. Comme le sang et l’eau portent la vie du corps. Les initiatives se multiplient : les boites à livres ou des lieux comme « vient attendre à Marseille » et les libraires connaissent une recrudescence de fréquentation… Actions de colibris qui de petites gouttes en petites gouttes feront de grands fleuves.

  2. J’ai déjà essayé le bookcrossing, avec un site sur lequel on s’inscrit pour suivre le trajet du livre, et un identifiant du livre qu’on écrit dans le livre avec une explication… Alors ou bien c’est trop compliqué, ou bien mon livre a fini dans une poubelle, mais je n’en ai plus jamais entendu parler. Bref, abandonner des livres comme ça, ça ne dis plus trop rien. Il y a trop de lieux (en tout cas dans ma ville) qui propose des boites de dons et d’échange libres pour que je les abandonne dehors.

  3. OH je connais bien cette expérience (inscrite depuis 2010)et c’est enchanteur de savoir que votre livre déposé au grès de votre déplacement a pu être trouvé, lu et apprécié ou non.
    Il suit son court et fait place à l’offrande avec cette étiquette qui le suit pour vous permettre d’en connaître son vagabondage. Et puis, quand bien même certains ne jouent pas le jeu, d’autres le découvre ou poursuivent la chaine.
    J’apprécie beaucoup cette démarche et j’y reste fidèle.

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