Timothée de Fombelle : son nouveau roman privé de publication américaine et britannique ?

Va-t-on vers une forme de censure en littérature ? C’est ce que pourrait laisser penser le récent cas de l’auteur Timothée de Fombelle. Dans une interview donnée dans le journal Le Point, l’auteur explique pourquoi Alma, le vent se lève, son nouveau roman, pourrait être privé d’une publication américaine et anglo-saxonne.

Un homme blanc pour raconter l’histoire d’une jeune fille noire

Alma Timothée de FombelleAuteur de littérature jeunesse, Timothée de Fombelle possède une vingtaine de romans à son compteur, dont les séries multi-primées Vango et Tobie Lolness. Cette année, le romancier revient avec une nouvelle série prévue en trois tomes : Alma. Si le roman est sorti en France le 11 juin dernier chez Gallimard Jeunesse, sa sortie aux États-Unis et au Royaume-Uni n’est pour le moment pas envisagée. La raison ? Alma raconte l’histoire d’une jeune fille africaine à l’époque de l’esclavage et de la traite des noirs et Timothée de Fombelle est un homme… blanc.
« Chez Walker Books, mon éditeur anglais qui possède une filiale aux États-Unis, on sait que je travaille depuis des années sur le sujet de la traite négrière, et on m’a dès le départ mis en garde. Sujet passionnant, mais trop délicat, m’a-t-on dit : quand on est blanc, donc du côté de ceux qui ont exploité les Noirs, on ne peut pas décemment s’approprier l’histoire de l’esclavage. Ils ont aimé le livre, mais, en effet, et pour la première fois, ils ne le publieront sans doute pas… », explique l’auteur à la journaliste Violaine de Montclos.

Le cas de l’appropriation culturelle

Selon Walker Books, Timothée de Fombelle ferait ainsi de l’appropriation culturelle. Ce terme, dont l’utilisation avec une connotation négative est devenue très populaire depuis le début des années 2010, qualifie l’utilisation d’une culture par une autre culture jugée dominante. Ici, un homme blanc, de la même couleur que ceux ayant été responsables de la traite des noirs au XVIIIe siècle (époque à laquelle se déroule Alma), ne pourrait pas être légitime pour aborder le sujet des esclaves noirs.

En février dernier, c’était déjà à l’auteur américaine Jeanne Cummins d’être accusée d’appropriation culturelle pour son roman American Dirt. Elle y raconte le périple d’une mexicaine et de son fils pour traverser la frontière des États-Unis, une histoire que ses détracteurs ont jugé inappropriée sous la plume d’une femme blanche. Le roman sortira en France chez Phillipe Rey cet automne.

Ces récents cas amènent à se poser la question des limites de la création : un auteur de fiction a-t-il la légitimité d’écrire sur tous les sujets ? La culture, la couleur de peau, peuvent-elles être un frein à la création littéraire ? Une culture peut-elle écrire sur une autre culture sans se faire taxer d’appropriation culturelle ?

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A propos de Marie Billois 88 Articles
Rédactrice chez Booknode

6 Comments

  1. Pffffff, personnellement je trouve ça ridicule. A partir du moment où c’est bien écrit, sans complaisance et que l’Histoire est respectée, qu’est-ce que ça peut faire que que l’écrivains soit blanc, noir ou chinois?
    Qu’est-ce qu’ils sont pénibles les gens qui se permettent de parler à la place des autres ou d’imposer leurs idéaux comme étant LA vérité. Je pense que les seules personnes susceptibles de dire si elles se sentent offensées, ce sont les justement les personnes concernées par le sujet non?

  2. Des personnes noires ont dit se sentir offensées par la manière dont l’auteur a tourné presque en dérision le thème de l’esclavage. Le fait qu’il n’est pas demandé aux principaux concernés leurs avis sur le sujet, qui les touchent de près est bien une preuve de manque de professionnalisme. Un auteur aurait du mal à parler du racisme sans avoir fait un travail approfondi derrière. Mettre l’esclavage comme une grande aventure est révoltant et surtout offensant pour les gens dont les membres de la famille ont subi cela. La France n’es pas prête encore à comprendre que les romans own-voices ont leur importance, notamment avec Angie Thomas, auteur noire-américaine qui a pu retranscrire avec détail et justice ce qui se passe aux Etats-Unis sous couverts de fiction. Le problème n’est pas tant l’appropriation culturelle en elle-même mais le manque de recherches autour d’un sujet difficile et sensible. Malheureusement cet article de Booknode ne montre pas le dédain dont a fait preuve l’auteur, comme quoi il s’y connaissait assez sur l’esclavage, mangeant de » l’attiéké’ et « étant allé deux semaines en Afrique. « 

  3. Je ne savais pas que l’histoire devait être estampillée propriété privée. Il me semble pourtant que l’esclavage est un sujet universel. Donc bientôt en sciences humaines seuls les noirs pourront prendre ce sujet de thèse ? Doit-on aussi condamner tous les cinéastes et auteurs non juifs qui traitent de l’holocauste ? Et tous les hommes qui traitent de la condition féminines ?

  4. Le livre est sorti il y a deux semaines dans un contexte tendu. Je suis lecteur et la démarche de trouver un livre, de le lire jusqu’au bout n’est pas si rapide. Je doute fort que de façon directe des « nombreux » lecteurs l’ont lu et ont été choqués, c’est justement mathématiquement impossible. Par ailleurs voilà la réponse de l’auteur :

    « Le bon côté tout de même de ces procès en légitimité est que l’on est contraint de redoubler de vigilance. Je suis un homme blanc du XXe, je ne suis pas historien, alors pour raconter une petite jeune fille noire du XIXe, je me suis vraiment beaucoup documenté, j’ai consulté des archives, des journaux de bord, j’ai beaucoup lu sur l’Afrique ancienne et j’ai voyagé. Je procède ainsi pour tous mes livres, mais pour Alma, cela représente des années de travail. Il fallait que je sois digne de mon sujet. »

    La critique engage ceux qui la font, pas ceux qui sont critiqués, sinon c’est une vie de guerre permanente, et guerre et création restent incompatibles. En cela, pour critiquer le livre il faut l’avoir lu et étayer, on attend donc ce genre de critique, le débat lui est quelque chose d’intéressant.

  5. Cette réticence de la part des éditeurs Anglo-saxons et Américains est étonnante, sinon aberrante.
    Tout d’abord, pour l’auteur mondialement reconnu qu’est Thimotée De Fombelle, la question de son intégrité ne devrait pas se poser. Ensuite, le terme d’ “appropriation culturelle » existe, mais il ne devrait pas être utilisé à excès pour une hypothétique possibilité que de Fombelle démontre « sa supériorité de race ».

    Justement, le fait qu’il s’essaie à comprendre la vie et la mentalité d’un peuple opprimé selon moi, ne bafoue pas la mémoire des victimes. Un écrivain est en partie historien: il recontextualise les mœurs, les coutumes, les mentalités d’une époque. Certes, nombre d’historiens à travers l’Histoire étaient d’une nationalité « supérieure » à leur sujet d’étude, et par là même recréerent selon LEUR point de vue à EUX.
    Mais je ne pense pas que Thimotée de Fombelle se place dans cette optique là. Il choisit non pas d’observer, mais de VIVRE cette identité noire. Il lui fait prendre corps, la fait revivre, et c’est un beau tour de force que de vouloir raconter au nom des opprimés. C’est plutôt notre réaction à cette prise de position qui devrait nous inquiéter.

    En quoi un homme blanc ne serait pas capable d’objectivité sur la question de l’esclavage ? Si c’était le cas, cela voudrait dire qu’un noir non plus ne pourrait pas être objectif, car à jamais rabaissé, et donc plein de ressentiment (ce qui nuirait à sa propre objectivité). Pourtant, l’Homme est capable de projection, d’empathie. Dire qu’un blanc ne pourrait pas se mettre à la place d’un noir, ou raconter sur les noirs revient à dire des blancs qu’ils n’ont pas d’empathie, ce qui est déshumanisant.
    Entre autre, des écrivains de couleurs écrivent sur des blancs. Pourquoi ne pourrait-on pas accepter l’inverse ?

    La force de ce roman est justement la volonté de dialogue, de compréhension d’un phénomène sociétal qui depuis longtemps est porté par les noirs. Peut être peut-il aussi être compris, accepté ET porté par les blancs ?
    Peut-être de Fombelle donne-t-il raison à ses détracteurs en choisissant ce sujet là, étant blanc lui-même, mais la couleur de peau ne devrait pas être un frein. Tant que les faits, le contexte, les émotions sont vraies, respectueuses du sujet, et profondément réfléchies, la traite d’un sujet aussi marquant par un représentant indirect d’une mentalité révolue ne devrait pas être aussi controversée.

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