Phénomène : Pourquoi les séries adaptées de romans marchent-elles si bien ?

 

Dans un article aussi complet qu’intéressant, le Flavorwire revient en détail sur ce que l’on appelle le « TV-Novel Complex », que l’on pourrait traduire en français par « complexe télévisuel-romanesque ». Tout commence avec la démocratisation de la télévision dans les années 1950 aux Etats-Unis, et plus tard, dans les années 1960, en France. La popularisation du média amène assez naturellement au développement de nouveaux programmes. En Angleterre et en Allemagne, on compte rapidement des centaines d’adaptations de pièces et de romans, particulièrement appréciés d’un public plébiscitant des contenus à « haute valeur culturelle ». En effet, il est important de garder à l’esprit qu’alors, les familles ayant un poste de télévision appartenaient à un milieu socio-professionnel aisé et éduqué.

 

C’est un peu plus tard, dans les années 1970, que le phénomène rattrape les Etats-Unis. Pragmatiques, les Américains en mal d’audience se positionnent alors eux aussi sur un créneau qui a porté ses fruits de l’autre côté de l’Atlantique, et ils copient le très littéraire modèle télévisuel britannique. L’avènement des mini-séries et feuilletons est lancé. Un bon exemple est l’adaptation par la chaîne ABC du roman d’Alex Haley, Racines, en 1977.

 

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En 1977, la mini-série « Roots », « Racines » en français, directement tirée du roman homonyme de Alex Haley, est produite par la chaîne américaine ABC.

 

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L’adaptation du célèbre roman de Jane Austen Orgueil et Préjugés par la BBC prend la forme d’une mini-série en 1995 et connaît un grand succès.

Aujourd’hui, loin de s’être essoufflée, la proximité entre littérature et format télé est plus que jamais de mise. De nombreuses références TV remettent ainsi au goût du jour les glorieuses années de l’époque victorienne ou du roman russe, sans hésiter à pousser toujours un peu plus l’édulcoration : la série « Dickensian », produite par la BBC, propose de mettre en scène et de faire cohabiter différents personnages de Charles Dickens dans une seule intrigue commune sur fond de roman noir. Dans un style plus classique, la chaîne avait brillé par son adaptation d’Orgueil et Préjugés, en format mini-série avec Colin Firth. Un créneau qui lui réussit, et qu’elle compte continuer à exploiter avec une adaptation de Guerre et Paix. Par ailleurs, nous pourrions aussi souligner l’existence de séries qui sont romanesques sans pour autant être adaptées de romans. « Downton Abbey », la saga de Julian Fellowes en est peut-être le meilleur exemple. L’univers, l’intrigue, et les enjeux dramatiques y ont quelque chose d’éminemment littéraire.

 

 

 

D’où peut bien venir cette proximité entre roman et  format TV ? Il s’agirait, d’après l’article du Flavorwire, d’une influence notoire et mutuelle entre ces deux supports, littéraire et télévisuel, et de surcroît, « d’une influence qui va au-delà de la simple adaptation littéraire. » Ainsi, les deux genres se nourriraient l’un l’autre et prendraient forme ensemble par un mécanisme d’interactions subconscientes. Ce serait cela, le « TV-Novel Complex » que certains appelleraient aussi le « Dickensian effect », du nom de celui qui est considéré comme le plus grand écrivain de l’époque victorienne, Charles Dickens. Le principe, très théorique, est pourtant assez logique et tendrait à démontrer que les séries calquées sur des romans classiques répondent, dans leur structure, à des principes et des codes similaires à ceux des romans qu’ils reprennent :

 

1. le roman peut être long, mais il doit bénéficier d’enchaînements rapides et efficaces mettant en exergue des « couches successives d’événements » ;

 

2. les caractères et les sentiments, en somme l’humanité des personnages, dans ce qu’elle a de plus beau ou de plus monstrueux, doivent être soigneusement travaillés ;

 

3. la coïncidence doit être cultivée à tout moment, car c’est elle qui rythme l’intrigue.

 

Ces trois aspects constituent à la fois les conditions d’une bonne adaptation, de même qu’ils expliquent la longueur de format nécessaire à l’adaptation d’un roman.

 

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Bien qu’elle ne soit tirée d’aucun roman spécifique, « Downton Abbey » est une des séries contemporaines les plus romanesques qui soient.

 

Autre élément essentiel à prendre en compte lorsqu’on évoque l’adaptation d’un roman à la télé : le flux, ou courant, qui explique en partie pourquoi une intrigue sous forme de série peut mieux marcher qu’un film d’un seul tenant. A ce propos, l’essayiste Raymond Williams affirme, dans son essai Television: Technology and Cultural Form que « dans un système de diffusion, l’organisation caractéristique et, par là, l’expérience caractéristique vécue, est celle de la séquence ou du flux. » Ainsi, le but de la diffusion n’est pas d’amener un spectateur à regarder un programme de façon épisodique, mais de l’attraper dans le flot continu d’un même programme. Cela demande un séquençage brillant, et les exemples ne manquent pas à l’heure de l’âge d’or du streaming. Et c’est ce mécanisme qui nous rend accro aux séries.

 

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La saga littéraire et la série « Games of Thrones » semblent prendre des chemins différents pour la prochaine saison.

Pourtant, et le critique américain James Poniewozik le souligne, « les séries en streaming ne sont pas des romans ». Ce qui est difficile à réfuter. Dans un roman, nous avons en effet une construction par parties ou chapitres, qui amènent à un dénouement systématique. C’est la règle première et fondamentale qui régit le récit romanesque, même si, au XIXe siècle notamment, nombre de romans étaient publiés sous forme de feuilletons dans les journaux. Les séries quant à elles, cultivent pour la plupart et de manière quasi permanente la réinvention. Là où le roman s’arrête, la série reste en suspens et joue sur des come back réguliers : nouvelle saison, nouvel épisode spécial etc. Et c’est cette même dynamique qui amène parfois la série à distancer le roman. « Game of Thrones », la série adaptée de la saga de George R.R. Martin a récemment fait l’objet d’un twist : l’auteur a annoncé avoir réservé à ses lecteurs dans le prochain tome un rebondissement qui n’apparaîtra pas dans la série.

 

 

 

Comme quoi, entre adaptation de roman et série transposée en fiction romanesque, la frontière peut vite devenir floue. Et la possibilité évoquée par James Poniewozik de créer un nouveau genre à mi-chemin entre la télé, le film et le roman a, elle, encore du chemin à faire.

 

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A propos de Cecilia Sanchez 290 Articles
Chargée de communication et rédactrice chez Booknode

1 Comment

  1. J’ai un gros problème avec les adaptions, je lis surtout de la romance et du fantastique, parmi mes romans favoris, plusieurs ont été récemment adaptés et j’ai été incapable de regarder plus de quelques épisodes.
    Prenons Bitten basée sur les romans de kelley armstrong, l’histoire a été tellement changée qu’on ne reconnait plus rien, les personnages qui meurent qui devraient pas mourir, Antonio, ceux qui ne meurent pas alors qu’ils devraient mourir : Logan
    Logan que Phillip soupçonne d’être l’amant d’Elena??? Logan qui va avoir un enfant et Nick qui couche avec Paige WTF ! Et Lucas son vrai chéri ainsi que toute l’histoire des covens qui passent à la trappe, rajoutez des scènes super clichées styles messe noire avec des gens qui baisent au milieu d’une assemblée, scène inventée de toute pièce pour la tv et ce n’est que le début d’une longue liste d’absurdités. Si je devais trouver un point commun entre les différentes adaptations de livres c’est cette tendance à rajoutez du hard, sexe et tripaille qui ne figurent pas dans les livres, genre True blood ou même Outlander avec des scènes de sexe superflues. Après les mauvais films, ont a donc droit aux mauvaises séries, Eragon, Twilight, les âmes vagabondes tout comme Percy Jackson m’avaient déja traumatisée avec leurs adaptions plus qu’approximatives, moi je dis arrêtons les frais, dans le genre fantastique du moins. N’étant pas une habituée des autres registres, je laisse les amateurs juger. Pour ma part, je ne veux plus jamais voir un bon bouquin gâché pour faire de l’argent au dépend des fans.

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