Phénomène : Le bonheur selon Michel Serres

 

Michel Serres sur le bonheur
Michel Serres, invité de Livre Paris, défend le bonheur sur scène et dans son dernier ouvrage.

 

Ils se mettent à fleurir dans les rayons des librairies depuis quelques années. Comme un remède à la crise, nombreux sont les Français qui ont troqué leurs ouvrages sur la productivité pour des livres de développement personnel sur le bonheur. Car c’est bien de lui qu’il s’agit ici, et c’est bien après lui que nous courons sans cesse. Le lâcher-prise, le bien-être au travail, le retour à l’essentiel, l’art de l’optimisme, l’éloge de la lenteur, la pratique physique régulière et la méditation sont autant de problématiques et de pratiques auxquelles nous nous intéressons parce qu’elles permettent précisément d’atteindre partiellement ou entièrement le droit que nous avons au bonheur. Aujourd’hui, de nombreux optimistes nous racontent cette quête d’un absolu apparemment moins difficile à atteindre qu’on ne le croit. Les plus célèbres d’entre eux s’appellent Christophe André, Frédéric Lenoir, Matthieu Ricard ou Michel Serres, et ils ont redonné au bonheur, cette idée encore ensevelie sous la poussière il y a une dizaine d’années, la place qu’il méritait. Question de philosophie après tout !

 

A l’occasion du 36e Salon du Livre, difficile de passer à côté d’une tendance littéraire qui fait de plus en plus d’adeptes. Il a suffi de quelques minutes pour que la conférence animée par Michel Serres sur le bonheur fasse salle comble (si tant est que l’on puisse parler de salle à Livre Paris). Le philosophe et historien des sciences est revenu sur sa conception du bonheur et sur l’urgence d’être heureux, face à un public subjugué. Son dernier ouvrage paru, intitulé Du bonheur, aujourd’hui, recueille les nombreuses réflexions dont il a fait part à Michel Polacco dans ses chroniques du dimanche sur le plateau de France Info. L’idée est de parcourir le bonheur à travers différents thèmes, qui constituent eux-même différentes entrées de l’ouvrage (les âges de la vie, la bonté, l’invisible, la paix, la poésie, le rire, la santé etc.).

 

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Publié en octobre dernier, Du Bonheur, aujourd’hui recueille les réflexions du philosophe dans ses chroniques diffusées sur France Info.

Pour atteindre le bonheur, Michel Serres nous invite à changer de point de vue. Nous nous sommes habitués, par exemple, à croire que nous vivons dans un monde de violence parce que le flot désormais ininterrompu des médias nous abreuve d’images de catastrophes, de guerres et de violences. Or, nous rappelle Michel Serres, la violence dans le monde ne cesse de baisser, et il est bon de rappeler qu’en Europe occidentale et en France, nous sommes en paix. Evidemment, dans un climat de crise et de menace terroriste, l’argument à des allures de prophétie et les plus pessimistes crieront à l’angélisme. Michel Serres nous avait prévenu : « j’ai très mauvaise réputation, car en France, il vaut mieux être pessimiste. » Au moins, on ne peut pas dire qu’on ne savait pas. Cependant, on serait tenté de changer d’avis si l’on regardait de plus près les chiffres avancés par le philosophe : au sujet des causes de mortalité dans le monde, les organisations internationales, et notamment l’OMS révèlent que les principales causes de mortalité sont liées aux maladies infectieuses (29,7%), au cancer (13%), aux maladies cardiovasculaires (12%), aux accidents cérébraux (10%), puis à d’autres causes parmi lesquelles les drogues (10%), ou les accidents de la route (10%). Quant aux morts violentes, celles infligées par la guerre et les conflits, elles peinent à atteindre les 1%. Comme l’a souligné Michel Serres de façon très imagée, « Philip Morris est plus dangereux que Daech. »

 

Pourquoi alors nous accabler à ce point d’images et de discours alarmants ? Tout simplement, parce que nous en sommes friands, et que les nouvelles, si l’on en croit le fameux adage « pas de nouvelles, bonnes nouvelles », se doivent d’être mauvaises pour intéresser. Mais si la méchanceté intéresse tant, cela veut-il nécessairement dire que l’homme est méchant par nature ? A cette question, Michel Serres répond qu’il l’est à diverses conditions, ou plutôt, comme dirait Platon : « nul n’est méchant volontairement. » Pour contrer les thèses pessimistes, comme celle de Hobbes, pour qui l’homme est naturellement violent, Michel Serres multiplie les exemples. Il revient par exemple sur une étude menée sur des groupes d’enfants âgés de 3 à 4 ans à peine. Installés ensemble dans une pièce, l’observation de ces petits a révélé que dans une majorité de cas, les enfants ont, dès leur plus jeune âge et naturellement, des notions très développés d’altérité et d’entraide. En effet, lorsqu’un adulte passe près d’eux et fait tomber un objet, les enfants se précipitent vers l’objet en question pour le tendre au sujet en détresse.

 

Nous serions donc meilleurs que nous le pensons, et nous vivrions plus en paix que nous le croyons. Cela est vrai, si l’on considère que l’espérance de vie a bien augmenté depuis la fin de la deuxième Guerre Mondiale. Alors qu’elle était de 63 ans pour les hommes et de 69 ans pour les femmes en 1950, ces chiffres grimpent respectivement à 78 et à 85 ans aujourd’hui. Nous vivons donc mieux, et cela amène une grande question : comment conserver la santé ? Lors de la conférence et dans son livre, Michel Serres nous dit qu’il y a à ce sujet trois solutions : la chirurgie esthétique, qui est coûteuse, inefficace et inutile, l’exercice physique, qui est nécessaire, et celui de l’intellect, qui est indispensable. Pour le préserver, il faut exercer sa mémoire, et ce, à tous les âges de la vie. Le conseil de Michel Serres : lire chaque jour trois pages plus difficiles que celles de la veille, et évoluer toujours vers des lectures plus compliquées. Il paraît qu’une fois que l’on rentre dans cette forme de compréhension, on atteint une jeunesse quasiment éternelle. Ajoutez à cela un quart d’heure de rire(s) par jour, et vous y êtes ! Comme quoi, il en faut peu, pour être heureux !

 

 

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A propos de Cecilia Sanchez 290 Articles
Chargée de communication et rédactrice chez Booknode

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